DRAGON KEYS est une série d’article qui décortique les œuvres qui ont influencées Dragon Ball afin d’en extraire des clés de lecture et mieux comprendre à terme ce qui fait l’essence du manga créé par Akira Toriyama. Il ne s’agit pas de critiquer les œuvres présentées mais de voir en quoi elles ont pu servir de source d’inspiration pendant la création de Dragon Ball.


Comme le titre l’indique, on va parler ici du film Le Chinois se déchaîne (蛇形刁手 en version originale et Snake in the Eagle’s Shadow en version anglaise, qu’on peut traduire littéralement par Le Serpent dans l’Ombre de l’Aigle). Il s’agit d’un film de kung fu hongkongais orienté comédie sorti en 1978 et réalisé par Yuen Woo-ping. Il a notamment permis à Jackie Chan de se faire connaître.

Chien Fu est le souffre-douleur d’une école d’arts martiaux et subit humiliations sur humiliations. Il est employé aux tâches les plus ingrates et doit encaisser les sarcasmes d’un contremaitre particulièrement sadique. Heureusement, Chien Fu trouve refuge auprès du maître Pai Cheng-Tien, apparemment mendiant mais en fait spécialiste de la technique du serpent, qui lui enseigne. Chien est alors en mesure de se défendre, alors que quelqu’un en veut à son maitre…


Sans plus de transitions, plongeons-nous directement dans le sujet. D’ailleurs, il ne faudra pas attendre bien longtemps avant de voir le premier lien du film avec Dragon Ball. Seulement dix secondes après le générique, un visage familier apparait :

« Te voilà enfin. »

Sheng Kuan est un maître de l’école de l’Aigle qui souhaite tuer tous les pratiquants du style du Serpent. Au delà de son apparence qui semble toute droit sortie du film, on retrouve chez Tao Pai-pai le même caractère orgueilleux, la même prestance et la même aura d’invincibilité que dégage le personnage. Nul doute que Sheng Kuan a été une grande source d’inspiration pour la création de Tao Pai-pai.

Cette scène nous introduit également la rivalité entre différentes écoles de kung fu associées à un animal. Ce concept est commun à beaucoup de films d’arts martiaux, c’est donc difficile d’affirmer qu’il s’agit là de la principale source d’inspiration pour cette thématique dans Dragon Ball. Cependant, on retrouve dans la relation entre les écoles de la Tortue et de la Grue du manga quelques similarités avec celle qui anime les écoles du Serpent et de l’Aigle dans ce film. L’école dans laquelle évolue les protagonistes (Tortue/Serpent) est présentée comme saine et n’éprouvant pas d’animosité, alors que l’autre école (Grue/Aigle) est celle qui anime cette rivalité. Cette dernière est également sans scrupule, usant de nombreux coups bas et se donne pour mission d’assassiner tous les disciples de l’école rivale. Cela reste des éléments scénaristiques basiques, communs à de nombreux films, mais il n’est pas impossible que leur présence dans Dragon Ball vienne de là.

Pour rester dans les styles de kung fu associés aux animaux, il y en a plusieurs qui sont cités tout au long du film :

« Petit rusé, hein ! »

En plus du style de l’Aigle et du Serpent, il y a ainsi les écoles du Dragon et de la Mante-religieuse qui sont présentées. Ce sont des formes de kung fu qui existent vraiment et sont issues du concept des « Cinq Animaux ». Les styles de la Tortue, de la Grue ou encore du Loup qu’on retrouve dans Dragon Ball viennent eux aussi du même concept. Il y a en revanche un autre style de combat présent dans le film qui, lui, n’existe étonnamment pas :

« Cette technique n’est absolument pas celle du serpent, comment l’appelles-tu ?

Le héros invente ce nouveau style de combat après avoir vu un chat et un serpent se battre. L’absurdité de cette technique vous aura probablement rappelé un gag de Dragon Ball : la technique du chien enragé de Gokū lors de son combat contre Jackie Choun ! Ce gag est très certainement une référence à ce style du chat, tout comme la technique de l’Homme ivre utilisée par Jackie Choun juste avant est elle une référence à un autre film avec Jackie Chan dans le rôle principal : Le Maître chinois (ou Drunken Master en version anglaise).

Enfin, pour finir sur cette thématique des différentes écoles de kung fu, il y a une dernière scène du film qui pourrait trouver un parallèle avec le manga (en plissant un peu les yeux). Pour faire croire qu’il connait le vieux maître de l’école du Serpent, Sheng Kuan (le maître de l’école de l’Aigle) se met à copier le style du Serpent.

« Ah… Alors tu es stupide ! Je ne mens pas. »

Le contexte est très différent mais la scène peut rappeler d’une certaine manière l’utilisation du Kame Hame Ha par Ten Shin Han lors de son combat contre Jackie Choun. A force d’y avoir été confronté, l’ennemi est maintenant capable de maîtriser la technique utilisée par les protagonistes de l’école rivale, ce qui crée un élément de surprise pour les personnages et les lecteurs/spectateurs.

Parmi les éléments qui caractérisent les œuvres de Toriyama, il y a celui des apparences trompeuses et c’est quelque chose qu’on retrouve dans ce film à travers le personnage du vieux maître.

« Battez-le ! »

Pai Cheng-Tien, le vieux maître, a une apparence très négligée et les personnages le prennent souvent pour un mendiant au premier coup d’œil, ce qui lui causera de nombreux problèmes. Malheureusement pour ses assaillants, c’est une fois impliqué dans la bagarre que sa vraie nature est dévoilée. Cette manière de prendre à contre-pied les attentes du lecteur est très présente dans Dragon Ball. Il y a Boo ou Freeza dans leur première forme par exemple : on ne s’attend pas à ce qu’ils soient des monstres de puissance si on se fie uniquement à leur apparence. Un autre point pour lequel le personnage de Pai Cheng-Tien est intéressant, c’est qu’il a probablement été une grande source d’inspiration pour la personnalité de Kame-Sen’nin, en montrant à la fois un côté très excentrique tout en étant capable de grande sagesse.

S’il y a un gag qu’on retrouve dans beaucoup de mangas d’Akira Toriyama, c’est celui de briser des briques pour prouver sa puissance. C’est sans surprise qu’on retrouve un gag similaire dans ce film !

« C’est vrai ça ? Je veux des preuves ! »

Ce qui est amusant c’est que le gag a une exécution très proche de ce qu’on pourra trouver par la suite dans Dr. SLUMP, avec le personnage qui essaie de sauver la face après s’être blessé à la main. Le gag tel qu’on le retrouve dans Dragon Ball, avec son grand représentant Mister Satan, est plutôt dans le ridicule qu’il y a à vouloir montrer sa puissance en brisant des briques face à des personnes capables de faire exploser des planètes.

Une autre scène présente dans Dragon Ball et dans ce film est celle du personnage tellement sûr de lui qu’il se donne un handicap en annonçant qu’il se battra sans les mains.

« Ah ben tant mieux… »

Ici la provocation est utilisée pour montrer à quel point le personnage est supérieur à son adversaire. C’est très proche de la manière avec laquelle Akira Toriyama l’utilisera dans la saga Boo lors du combat contre Vegetto. Sur Namek cependant, l’auteur utilise cette provocation de manière intéressante en la détournant afin de montrer la trop grande confiance de Freeza en lui-même mais aussi pour montrer la montée en puissance progressive de Gokū.


Dans le même registre de comportement, on peut noter l’apparition du personnage qui ne se donnait pas à fond volontairement.

« Je ne vais plus me gêner ! »

Cette réplique est lancée de manière anecdotique, à une seule reprise, mais puisqu’il s’agit de quelque chose de récurrent dans Dragon Ball, autant la mentionner.

Il n’y a pas que pour les gags et les attitudes des personnages que Dragon Ball trouve ici inspiration, même dans le rythme et la manière de raconter l’histoire on retrouve aussi des influences de ce film.

« Oh mes belles chaussettes… »

Ce type de scène par exemple est présent dans énormément de films de Jackie Chan. On marque une pause dans le combat pour laisser un temps au protagoniste de se rendre compte des dégâts qu’il vient de subir. Cela peut être comme ici simplement un dégât matériel (et le fait que le personnage a eu chaud pour son pied), ou plus généralement juste une très courte pause dans le combat parce qu’il s’est blessé. Ces scènes rajoutent un petit cachet d’humour mais surtout de l’empathie envers le personnage : il n’est pas invincible et ressent lui aussi la douleur, alors quand il reçoit un coup on a mal avec lui et quand il gagne après un combat acharné, on ressent qu’il l’a bien mérité et c’est quelque chose que Toriyama utilise fréquemment dans Dragon Ball.


Dans le même registre, on peut voir que la tenue du héros est déchirée au fil du combat final.

C’est un moyen très efficace pour ajouter de la crédibilité au combat et faire ressentir l’impact des coups au spectateur grâce à ces changements sur l’apparence du personnage qui persisteront pendant toute la durée de l’affrontement. Quand on compare l’apparence du personnage avant et après le combat, cette tenue en lambeaux montre à quel point ça a été une épreuve difficile pour le protagoniste et participe à transmettre ce sentiment de satisfaction au spectateur. C’est une technique que Toriyama utilisera à de nombreuses reprises dans Dragon Ball, notamment pendant les combats contre les grands vilains du manga.

En parlant de combat final, c’est intéressant de voir que celui du film se déroule dans un désert.

« Ouyah ! »

Avec des décors aussi simples et monochromes, les yeux ne se perdent pas en contemplation. Tout le focus est uniquement sur le combat et sa chorégraphie. C’est quelque chose que Toriyama utilisera énormément dans son manga, où pratiquement toutes les grandes batailles se déroulent dans un terrain vague loin de toute civilisation, allant même jusqu’à ne pas dessiner de décors dans certaines cases pour laisser les personnages s’exprimer pleinement.

Un autre point intéressant c’est l’arrivée du personnage principal dans le combat final.

« Maître, je crois que cet homme est fou ! »

Le méchant s’apprête à achever un allié quand soudain, le protagoniste jusqu’à présent tenu à l’écart pour une certaine raison arrive in-extremis et de manière fracassante pour s’interposer et prendre part à la bataille. Ce n’est pas un ressort scénaristique particulièrement original, mais le fait que Toriyama y ait recours à de nombreuses reprises dans Dragon Ball fait qu’il n’était pas possible de ne pas mentionner son apparition également dans ce film.




Pour finir, notons l’omniprésence de l’entrainement dans le film à travers plusieurs longues scènes symbolisant les paliers franchis par le personnage principal tout au long de son apprentissage, une thématique elle aussi très présente dans Dragon Ball.

La marelle

Le poulailler dépouillé


Voilà qui conclut cette présentation ! Le prochain film abordé sera probablement Le Maître chinois (ou Drunken Master en version anglaise) sorti la même année. Les deux films partagent beaucoup de points communs alors si celui-ci vous a plu, nul doute que le prochain vous plaira aussi !